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L’imagerie cérébrale

(5e rencontre)

BD: Mais je voudrais d’abord commencer par rappeler :

Comme les modèles, les cartes sont en premier lieu des outils pour simplifier la complexité d’un espace en des représentations pratiques. Elles doivent donc choisir quel aspect simplifié de cet espace elles veulent montrer. On peut vouloir, par exemple, mettre en valeur le relief, comme avec les cartes topographiques et leurs courbes de niveau. Ou bien les routes qui sillonnent un territoire, comme n’importe quelle carte routière ou carte Google. Ou encore, y faire apparaître les lieux d’intérêt historique, les musées, les restaurants, etc.

YDR : Ou bien montrer sur une carte des rues de Montréal avec des points rouges à tous les endroits où se sont fait frapper des piétons par des chars pour identifier les intersections les plus dangereuses, comme l’avait fait un de mes chums médecin en santé publique1. Ou ben, toujours à Montréal, cartographier avec un code de couleur les revenus moyens ou l’espérance de vie par quartier. Comme par hasard, on se rend compte tout de suite en regardant ces cartes que les rues les plus larges où y’a le plus de piétons frappés sont dans les quartiers les plus pauvres qui ont aussi la plus faible espérance de vie. Et pas juste à cause des accidents, bien entendu, t’as aussi tous les autres facteurs associés aux milieux défavorisés, dont la plus grande pollution, aussi associée à l’auto d’ailleurs. On s’en doutait bien, mais les cartes le montrent clairement.

BD : Ce que tu évoques là, superposer des cartes d’un même territoire, mais qui en montrent des réalités distinctes, on va pouvoir le faire aussi à partir des cartes cérébrales obtenues avec les différentes techniques d’imagerie cérébrale que j’aimerais te présenter rapidement maintenant. Mais avant, il faut aussi rappeler que toute carte a une échelle, c’est-à-dire un ratio de la taille de ce qu’elle représente par rapport à l’objet réel. Sur Google Maps par exemple, c’est facile de voir l’échelle changer quand on zoom in ou zoom out avec le petit « + » ou le petit « – ». On peut passer de 1 centimètre = 1, 10, ou même 100 kilomètres si on zoom out beaucoup pour voir le Québec en entier, par exemple. Mais à ce moment-là, on perd les détails : on ne voit plus les routes secondaires, les rues des villes, et encore moins les maisons ! Avec les cartes cérébrales, ça va être la même chose. On a des cartes à l’échelle « micro » où on a fait des reconstitutions 3D de la manière précise dont s’agencent nos connexions synaptiques2 (B1, B2). Si on s’élève à un niveau « méso », on a pu tracer le trajet complet d’axones de leur origine jusqu’à leur destination dans le cerveau de souris3. Et à l’échelle « macro », on a pu faire de fines tranches de cerveaux humains entiers et les numériser ensuite pour avoir une carte quand même très précise des moindres noyaux cérébraux, mais évidemment sans voir le trajet des axones et encore moins des synapses.  Ces cartes cérébrales à l’échelle micro, méso et macro ont bien sûr été faites avec des cerveaux morts qu’on a extraits de la boîte crânienne et qu’on a tranchés, colorés, etc. J’en donne quelques exemples sur mon blogue (B3). Maintenant qu’on a ça en tête, on peut maintenant donner un aperçu :

Et la première technique dont j’aimerais te parler, c’est donc l’imagerie par résonance magnétique, communément appelée « IRM »4 (S1). Son avènement à la fin des années 1970 a eu l’effet d’une bombe dans le milieu médical. Parce que cette nouvelle technique n’utilisait ni les rayons X ni les ultrasons, comme d’autres techniques déjà existantes à l’époque, mais faisait plutôt appel aux champs magnétiques en exploitant des propriétés physiques de l’eau qui constitue près des deux tiers de la masse du corps humain.

[NDLR Les détails techniques du principe de fonctionnement des appareils présentés dans cette section ont été réunis dans un billet de blogue (B4).

L’IRM obtient ainsi une définition supérieure à la tomodensitométrie (CT scan), une technique aux rayons X assistés par ordinateur qui permet aussi de visualiser l’anatomie du cerveau. C’est évidemment très utile du point de vue clinique pour visualiser les dégâts des tumeurs, des accidents vasculaires cérébraux, etc. En plus, l’IRM permet d’obtenir non seulement des coupes axiales du cerveau, comme avec la tomodensitométrie, mais aussi des coupes coronales et sagittales, les deux autres axes dans un objet à trois dimensions (B5).  

Plan coronal en haut à gauche, plan sagittal en haut à droite, plan axial en bas à gauche. Pour chaque plan, l’intersection de deux lignes vertes est sur l’hippocampe. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Magnetic_resonance_imaging_of_the_normal_brain#/media/File:Hippocampus-mri.jpg

YDR : Tu me fais pas mal travailler ma 3D mentale, là.

BD : (rire) Tant mieux, parce que tu vas en avoir encore plus besoin pour apprécier la prochaine technique que je vais te présenter : la tractographie, aussi appelée IRM en tenseur de diffusion, IRM de diffusion ou simplement imagerie de diffusion5. Pour comprendre sa grande utilité, il faut se rappeler que les axones des neurones du cortex se projettent vers l’intérieur du cerveau pour aller rejoindre diverses cibles, soit dans le même hémisphère, soit dans l’autre en passant par le corps calleux. Ils forment comme ça de nombreux faisceaux de fibres nerveuses, la fameuse matière blanche, parce que les fibres sont recouvertes de myéline blanche, comme on l’a vu. Mais ces faisceaux sont difficiles à distinguer avec les colorations classiques. Avec l’imagerie de diffusion, non seulement on peut les distinguer avec de belles couleurs, mais on peut les distinguer encore une fois chez un sujet vivant ! Là, j’ai une petite surprise pour toi…

Source : https://www.frontiersin.org/journals/neuroscience/articles/10.3389/fnins.2024.1333243/full

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Diffusion_tensor_imaging#/media/File:White_Matter_Connections_Obtained_with_MRI_Tractography.png

Source : https://www.news-medical.net/health/Diffusion-Tensor-Imaging-%28DTI%29-Explained.aspx

Source : https://www.quora.com/How-does-Diffusion-Tensor-Imaging-DTI-work-and-how-is-it-used-in-neuroscience

YDR : Wow, c’est quoi ?

BD : C’est quelques photos de cerveaux en imagerie de diffusion que j’avais fait imprimer pour ma visite guidée du mont Royal dans le cadre de l’UPop. T’as beau être bon en 3D mental, c’est dur à expliquer et à visualiser ce que ça donne comme rendu sans aucune image.

YDR : Mais sérieux, ç’a plus l’air d’une œuvre d’art que d’un cerveau ! Quoiqu’on le sent dans la forme générale… J’en ferais ben laminer un pour mettre dans mon salon. (rire)

BD : Tu ris, mais ça a vraiment inspiré certains artistes. C’est le cas de la technique créée par le Dr Greg Dunn, artiste et neuroscientifique, et le Dr Brian Edwards, lui aussi artiste et physicien, qui utilisent entre autres l’imagerie de diffusion pour obtenir le tracé des grands faisceaux cérébraux6 à partir desquels ils appliquent leur technique de « reflective microetching » (B6). C’est un peu comme de la microgravure ou de la lithographie qui permet d’évoquer, avec des jeux de miroitement de la lumière à l’échelle microscopique, l’activité dynamique incessante de nos réseaux de neurones qui sous-tend toute activité cognitive. Ça révèle vraiment toute la beauté complexe de notre cerveau, avec des images à la fois très précises et très esthétiques. Mais pour en revenir à l’imagerie de diffusion, elle a été rendue accessible dans les années 1980, mais avec la puissance de traitement des ordinateurs qui augmente tout le temps, la qualité des images s’est améliorée au fil des ans jusqu’à donner ces petits chefs-d’œuvre. Mais il y a pas mal de science derrière tout ça, à commencer par le principe physique qui est exploité pour arriver à reconstruire ainsi nos grandes voies nerveuses (B7).

YDR : C’est drôle, comme c’est ben compliqué le cerveau, je m’attendais plus à voir ses connexions internes comme un gros bol de spaghetti tout mélangé. Mais c’est quand même organisé, pis y semble comme y avoir une logique qui rend ça beau.

BD : Oui, c’est exactement ça. Il y a des contraintes développementales qu’on a déjà un peu évoquées qui débouchent sur une anatomie générale du cerveau qui fait que les faisceaux d’axones ne peuvent pas passer n’importe où7.

Détail de l’IRM de diffusion du cerveau du singe rhésus montrant la structure tridimensionnelle évoquant un tissu des voies neuronales. Source : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3773464/

Un peu comme quand on a tracé les plans des chemins dans le cimetière devant nous ou même dans une ville comme Montréal. La bonne vieille grille orthogonale est souvent la plus efficace pour se rendre d’un point à un autre, mais il faut faire avec les obstacles présents sur le terrain, comme une falaise ou une montagne qu’on va contourner avec un chemin plus sinueux. Donc en même temps qu’il y a une symétrie à plusieurs endroits dans les images d’IRM de diffusion du cerveau, on sent aussi le bricolage de l’évolution, son improvisation et sa créativité qui vont mener aussi à une variabilité individuelle pour les détails de cette connectivité. Avant l’ablation d’une tumeur cérébrale par exemple, des neurochirurgiens peuvent utiliser l’IRM de diffusion pour mieux comprendre le câblage cérébral particulier de leur patient et essayer d’épargner un maximum de fibres nerveuses durant l’opération8. Cependant, malgré la précision qu’atteignent aujourd’hui ces appareils9, il y aura toujours une limite de résolution intrinsèque au principe même derrière cette technique.

YDR : Qu’est-ce que tu veux dire ?

BD : C’est que les vrais axones des neurones ne sont pas des lignes uniformes reliant d’un point à un autre des régions du cerveau, comme le suggèrent ces belles images. Ils possèdent très souvent de nombreux embranchements, qu’on appelle des collatérales, qu’on peut voir sur les colorations traditionnelles à haute résolution, mais qui restent invisibles à l’IRM de diffusion, qui ne peut voir un faisceau que lorsqu’il contient des milliers d’axones tous bien parallèles.

YDR : Dis, tu vas me montrer les autres images que t’as dans ton enveloppe ? Je suis curieux…

BD : Oui, très bientôt. Parce que là, on va aborder une nouvelle famille de techniques, toujours pour observer des cerveaux de personnes vivantes. Maintenant, pendant qu’on est dans le scan, on nous demande d’effectuer une tâche et on va pouvoir observer des changements d’activité dans différentes régions cérébrales associés à cette tâche-là. Donc, cette fois-ci, on va faire des cartes qui vont nous permettre de :

Mais avant de présenter quelques-unes de ces techniques, je voudrais juste noter qu’au fond, la distinction habituelle qu’on fait entre structure et fonction nous vient des machines fabriquées par les humains. Dans le monde du vivant, il s’agit simplement de deux échelles de temps différentes : ce qu’on appelle « fonction » découle de processus changeants à l’échelle des secondes, des heures ou des jours, et ce qu’on appelle « structure » ou « anatomie » découle de processus également changeants, mais à l’échelle des milliers d’années de l’évolution (B8) !

YDR : Ouais, bon, j’vois c’que tu veux dire. Mais c’est un peu jouer sur les mots, non ?

BD : Ça peut avoir l’air de ça, j’en conviens. Mais quand on va avancer dans notre compréhension des choses et qu’on va commencer à entrevoir certains grands principes unificateurs dans tout ça, ça va avoir son importance. Pour l’instant, on va se contenter de donner un aperçu des techniques d’imagerie fonctionnelles, en commençant par celle qui est apparue en premier, la tomographie par émission de positons.

YDR : Jamais entendu parler.

BD : Elle est mieux connue sous son acronyme TEP, ou PET scan en anglais, et elle a vu le jour au milieu des années 1970 avant de devenir véritablement accessible dans les années 1980. Comme pour l’IRM fonctionnelle dont on va parler tantôt, la TEP va prendre parti du fait que lorsqu’un groupe de neurones devient plus actif, les astrocytes qui sont sensibles à cette activité accrue des neurones vont déclencher une vasodilatation locale des capillaires sanguins cérébraux pour amener davantage de sang, et donc d’oxygène, vers ces régions plus actives. Dans le cas d’une TEP, on doit injecter au sujet une solution contenant un élément radioactif, qui peut être du glucose radioactif par exemple.

Source : International Consortium for Brain Mapping (ICBM)

Plus ce glucose va se retrouver dans les régions où les neurones sont plus actifs suite à la dilatation des petits vaisseaux sanguins, plus les effets de leur désintégration radioactive vont être détectés par la TEP (B9).

YDR : C’est pas dangereux, ces radiations-là ?

BD : Pas vraiment. La quantité injectée est faible et la demi-vie de la substance est très courte, de sorte qu’une couple d’heures après l’injection, c’est pratiquement plus détectable. Et même si aujourd’hui on a des techniques avec de bien meilleures résolutions spatiales, c’est quand même avec la TEP qu’on avait pu constater pour la première fois que lorsqu’on voit des mots, qu’on les entend, qu’on les prononce ou qu’on les génère, tout ça générait des réseaux d’activation différents.

Source : https://www.researchgate.net/figure/PET-scans-of-cortical-anatomy-of-processing-of-single-words-From-Petersen-SE-et-al_fig7_5583224

Ce qui est intéressant avec la TEP, c’est qu’elle permet aussi d’inclure l’isotope radioactif dans des substances dont on veut connaître l’utilisation métabolique par certaines régions cérébrales. L’étude des neurotransmetteurs a bénéficié d’une façon importante de cette approche qui a permis de préciser la distribution de plusieurs d’entre eux.

Images de TEP montrant que les toxicomanes (rangée du haut) ont moins de récepteurs de dopamine dans certaines structures cérébrales que les non-toxicomanes (rangée du bas). Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:PET_-_Human_Addiction.jpg

Ou de constater que les cerveaux de gens en dépression ont une distribution plus faible de sérotonine. Ce qui ne veut pas dire que cette baisse soit la cause de la dépression, comme on l’a pourtant longtemps cru (B10). La TEP a aussi permis de mieux comprendre des maladies neurodégénératives comme celle de Parkinson, en constatant la baisse importante de dopamine dans une structure sous-corticale qu’on appelle le striatum.

Chez le patient atteint de la maladie de Parkinson (à droite), le signal est nettement réduite dans le putamen postérieur droit et, dans une moindre mesure, dans le putamen antérieur et caudé de l’hémisphère gauche. Source : https://www.eurekalert.org/multimedia/674549

YDR : Pis ce serait quoi l’analogie pour cette technique-là par rapport au cimetière en face de nous, si on suppose que c’est un hémisphère cérébral ?

BD : Oh, bonne question… Peut-être d’attendre la tombée du jour pour voir scintiller quelques lampions allumés près de certaines pierres tombales qui ont reçu de la visite durant la journée ? Ce serait une mesure « indirecte » de quelque chose qui a été laissé aux endroits où il y a eu de l’activité, comme l’est ce que détecte la TEP, au fond.

YDR : Ouais, parce que c’est vrai ça, c’est pas directement l’activité des neurones qu’elle détecte, ta machine.

BD : Exact. Parce que ce sont des phénomènes vasodilatatoires associés qui, même si on a pu vérifier qu’ils sont assez fidèles10, restent une lecture indirecte de l’activité nerveuse. Même chose pour la prochaine technique dont je vais te parler : l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, ou IRMf de son petit nom11. Elle est devenue accessible dans les années 1990, et la machine comme telle ressemble à l’IRM anatomique.

Source : International Consortium for Brain Mapping (ICBM)

Mais les ordinateurs vont analyser un signal différent qu’on appelle le BOLD, de l’anglais blood-oxygen-level dependent, donc un signal « dépendant du niveau d’oxygène sanguin » (B11). Comparée à la TEP, l’IRMf est moins invasive parce qu’elle ne nécessite pas l’injection d’une substance dans le corps. Un autre avantage, c’est qu’elle produit une image structurelle et fonctionnelle du même cerveau qui rend possible des correspondances anatomo-fonctionnelles plus précises qu’avec la TEP, vu la résolution spatiale de l’ordre de quelques millimètres12 ou même moins13, alors que c’est plus de quatre à sept millimètres pour le TEP14.

Coupe axiale en IRMf durant une tâche de comparaison entre un stimulus visuel complexe en mouvement et une condition de repos (visualisation d’un écran noir) : on observe une activation dans le cortex visuel primaire, le cortex visuel extrastrié et le corps géniculé latéral. Les activations (jaune-orange) sont représentées sur la moyenne des images structurelles des sujets de l’expérience. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File : Functional_magnetic_resonance_imaging.jpg

Régions activées les plus stables lors de la présentation de noms d’émotions à des sujets dans un scan d’IRMf (240 voxels formant plus de 25 amas distincts). La nature distribuée de telless activations neuronales associées à des émotions spécifiques confirme les résultats de méta-analyses selon lesquelles les émotions induites font appel à un vaste réseau de structures neuronales. Source : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0066032

Cela dit, la résolution temporelle, elle, est limitée par la relative lenteur du flux sanguin dont l’IRMf dépend15. Ça se passe donc plus à l’échelle de plusieurs secondes et pas à l’échelle temporelle réelle des millisecondes, qui est celle de l’activité neuronale. Pour suivre ça, faudra d’autres techniques, comme l’électroencéphalographie ou la magnétoencéphalographie dont on va parler à notre prochaine rencontre.

YDR : Ramène-moi donc ça encore une fois à ce que ça donnerait sur l’hémisphère en face de nous, ça m’aiderait, j’pense.

BD : Tu me fais pas mal travailler mon imagination, là… J’avais pas pensé à ça. Attends un peu… Ah, tiens, peut-être une caméra infrarouge qui nous permettrait de voir en ce moment à travers les arbres tous les gens qui se promènent ou viennent déposer des fleurs au cimetière, encore une lecture indirecte d’une activité cachée. Mettons…

YDR : Pis ça va nous apprendre quoi de plus, cette technique-là ?

BD : Pas mal d’affaires quand c’est bien employé. D’abord, ça a montré hors de tout doute que pour une même tâche, différents sujets peuvent montrer des réseaux d’activation cérébrale assez différents pendant qu’ils essaient de la résoudre. Quant à l’interprétation de tels résultats, c’est toujours plus spéculatif, mais ça pourrait révéler par exemple différentes stratégies mentales pour réussir la tâche. Ce qu’on appelle parfois le principe d’équifinalité dont on aura l’occasion de reparler (voir encadré p. 452).

Résonance magnétique fonctionnelle durant le test de Stroop pour six sujets différents démontrant la grande variabilité entre les participants. (Source : Dr. David C. Osmon)

Une autre étude dont je me souviens montrait un certain type d’activation pour des sujets à qui on montrait l’image d’un doigt semblant se faire couper par un sécateur16. Mais la même image présentée à des médecins n’activait pas les mêmes zones, produisant par exemple une forte réponse frontale, un indice que quelque chose comme une régulation des émotions était probablement à l’œuvre chez ces personnes entraînées à garder la tête froide pour prendre la meilleure décision dans des cas pareils.

YDR : C’est hot, quand même, d’être capable de voir comme ça quelles régions s’activent quand on fait de quoi.

BD : Oui et non, en fait. Parce que certains usages de l’IRMf ou ce qu’on fait dire aux données qu’on recueille avec ces appareils soulèvent toutes sortes de limites, de problèmes, de critiques et de questions (B12, B13)17. T’as, par exemple, la question du signal très faible qu’on capte par rapport à tout le bruit qu’on enregistre avec. Ça fait qu’on peut manquer des choses, comme un petit groupe de neurones qui pourrait être actif dans une zone plus large qui ne l’est pas. Ou l’inverse, un petit groupe de neurones moins actif dans une zone très activée. Dans les deux cas, les signaux sont trop faibles pour être perçus, mais l’activité de ces neurones peut quand même jouer un rôle non négligeable à ce moment-là. Dans un IRMf de puissance moyenne, la plus petite unité d’information, le voxel, peut encore contenir quelques centaines de milliers de neurones dans le cortex18. Et dans tous ces neurones, il peut se passer des choses au centième de seconde, alors qu’on est à une résolution temporelle, comme on l’a dit, de l’ordre de la seconde.

YDR : OK. Fait qu’on manque plein d’affaires, finalement…

BD : Oui, mais c’est pas juste ça non plus. Quand on fait une expérience en IRMf, on la fait sur un échantillon d’un certain nombre de sujets et on utilise des méthodes statistiques pour voir si ce qu’on observe semble suffisamment significatif pour être généralisé à l’ensemble de la population. Ça veut donc dire qu’il y a plusieurs façons d’analyser les données et de les interpréter. Ce qui fait dire à certains que « si tu les essaies toutes, tu vas finir par trouver quelque chose »… (B14)

YDR : Ça laisse place à… comment dire… un certain « flou artistique » ? Ça me rappelle une devinette de PDG : comment savoir si t’as engagé un bon comptable ? C’est quand tu lui demandes combien ça fait 2 + 2, pis qu’y t’répond : « Combien tu veux qu’ça fasse ? »19.

BD : (rire) Toujours du côté des statistiques, on a aussi signalé que le nombre de sujets participant aux études d’imagerie cérébrale serait en général trop petit pour assurer la fiabilité du phénomène décrit20. Mais il y a des problèmes peut-être encore plus graves qui découlent de nos préconceptions sur le fonctionnement général du cerveau, par exemple, le fait que les études d’IRMf cherchent souvent à trouver des correspondances entre des réponses évoquées par des tâches et l’activation de certaines structures cérébrales particulières. Le problème, c’est que de tels protocoles soutiennent tacitement une vision du fonctionnement cérébral où la relation cerveau-comportement devrait être toujours la même, du moins pour un individu donné. Mais les données s’accumulent pour montrer non seulement que différentes configurations neuronales pourraient être à l’origine d’un même état mental ou comportemental, mais aussi que ces états émergent d’un ensemble complexe de signaux interdépendants provenant à la fois du cerveau, du corps et du monde extérieur plutôt qu’uniquement de réseaux de neurones indépendants du contexte21.

YDR : Euh… Pas sûr de te suivre, là…

BD : C’est normal, j’avance un peu trop vite ici. On va développer tout ça dans un instant.


  1. Aménager pour les véhicules ou pour les personnes? (2015) / Sécurité des piétons en milieu urbain : enquête sur les aménagements routiers aux intersections (2013) ↩︎
  2. Largest brain map ever reveals fruit fly’s neurons in exquisite detail (2024) ↩︎
  3. Mouse Brain Architecture ↩︎
  4.  IRM du cerveau (2019) ↩︎
  5. Diffusion MRI (Wikipédia) / Tractographie (Wikipédia) / IRM de diffusion (Wikipédia) / IRM de Diffusion et du Tenseur de diffusion / Dans le cerveau, ce sont les connexions qui commandent ! (2022) ↩︎
  6. Self-reflected (2016) / The Neuroscience Behind Self Reflected / Creating the axons / An Introduction To Microetching (2014) ↩︎
  7. This Is Your Brain–It’s Organized Like a Woven Cloth and Not So Tangled As Once Thought (2012) / The Geometric Structure of the Brain Fiber Pathways (2012) ↩︎
  8.  Des travaux du CHUS et de l’UdeS rayonnent partout dans le monde! (2014) / Sherbrooke Connectivity Imaging Laboratory ↩︎
  9. Voir le cerveau comme jamais auparavant (2017) ↩︎
  10. Neurophysiological investigation of the basis of the fMRI signal (2001) / The neural basis of the blood-oxygen-level-dependent functional magnetic resonance imaging signal (2002) ↩︎
  11. Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (Wikipédia) / L’architecture fonctionnelle du cerveau au repos : comprendre sa construction chez l’enfant grâce à l’IRM (2019) ↩︎
  12. Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (Wikipédia) ↩︎
  13. Comprehensive ultrahigh resolution whole brain in vivo MRI dataset as a human phantom (2021) ↩︎
  14. Tomographie par émission de positon (Wikipédia) ↩︎
  15. Overview of Functional Magnetic Resonance Imaging (2011) ↩︎
  16. Nos réseaux de milliards de neurones et leur activité dynamique :
    l’exemple de l’éveil, du sommeil et du rêve
    (p.49) ↩︎
  17. Progress and Problems in Brain Mapping (2015) / What we can do and what we cannot do with fMRI (2008) /
    Limitations of MRIs for Understanding Behavior (2015) / BS 156 Russell Poldrack talks about Brain Imaging (fMRI) (2019) ↩︎
  18. What does fMRI measure? (2015) ↩︎
  19. Conter, rationaliser, discipliner. Une approche critique de la comptabilité (2023) ↩︎
  20. Why small sample size undemines the reliability of neuroscience (2013) ↩︎
  21. Improving the study of brain-behavior relationships by revisiting basic assumptions (2023) ↩︎