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Comment certains de nos gènes peuvent influencer nos allégeances politiques

(12e rencontre [extrait 3])

BD : On pourrait par exemple dire un mot sur les études de jumeaux identiques, donc qui ont le même matériel génétique, mais qui ont été élevés dans des familles différentes. On a pu montrer qu’ils sont plus enclins à avoir des opinions politiques similaires que des jumeaux non identiques, donc au matériel génétique différent, mais qui ont été élevés dans la même famille. Et selon certains auteurs, entre 40 et 60 % de la variance dans nos positions politiques seraient due à des facteurs génétiques, le reste provenant de notre environnement, en particulier celui de notre jeunesse1. Et puis, tu as tous les travaux autour des nombreuses versions du gène DRD4 du récepteur à la dopamine chez l’humain. La forme « 7R » de ce gène est particulièrement intéressante parce que le récepteur qu’elle produit répond moins bien à la dopamine, ce qui, au niveau comportemental, a été associé à des caractéristiques compensatoires comme la recherche de sensations et de nouveauté2, l’extraversion, l’impulsivité ou encore la prise de risques3. Dans ma présentation, je citais déjà un passage fascinant du livre de Sapolsky où il rapporte que la forme 7R du récepteur à la dopamine est présente chez près du quart de la population européenne et américaine, descendants d’immigrants aventureux, mais est presque inexistante en Asie de l’Est où la culture millénaire collaborative du riz4 aurait exercé une sélection contre cette version du gène, les individus trop excentriques lui étant nuisibles. Or, je me suis souvenu d’autres études que j’avais vu passer sur ce même récepteur 7R à la dopamine, mais cette fois en rapport avec le gradient progressiste-conservateur au niveau politique dans les sociétés humaines !

YDR : Attends un peu là… C’est quoi le lien entre un p’tit récepteur microscopique pis le faux choix du moins pire entre les rouges pis les bleus, entre la peste pis l’choléra ?

BD : Tu vas voir. Une de ces études5 a, par exemple, établi une correspondance entre la présence ou non de cette variante 7R et les fréquentations de ces sujets sur les réseaux sociaux. On a alors pu montrer que les personnes avec la forme 7R du récepteur à la dopamine étaient plus susceptibles d’être libérales à l’âge adulte, mais seulement si elles avaient une vie sociale active à l’adolescence.

YDR : Comment ça ? Les ados moins grégaires avec ce gène de la recherche de nouveauté devenaient plus conservateurs ? Ça marche pas, ton affaire…

BD : C’est parce qu’un gène tout seul, ça ne veut rien dire, ça ne peut pas avoir d’étiquette comme « le gène de la recherche de nouveauté ». Un peu comme dans le cerveau, où tu ne peux pas accoler une étiquette fonctionnelle unique à une région cérébrale particulière.

YDR : Ah non ? Pourquoi ?

BD : Pour ce qui est du cerveau, c’est un peu long à expliquer et tu verras ça demain si tu viens à ma présentation où je vais en parler. Mais pour ce qui est des gènes, c’est parce qu’un gène s’exprime toujours dans un organisme qui a eu une histoire de vie particulière et qui se trouve à tout moment dans un contexte particulier. Ce qui fait que son environnement biochimique interne va être influencé par l’ensemble de tout ça. La protéine produite par un gène se retrouve alors dans tout ce maelstrom et va influencer notre comportement différemment selon la biochimie cellulaire du moment. Comme l’écrit Sapolsky, qui nous invite même à en faire un mantra : « Ne vous demandez pas ce que fait un gène, mais ce qu’il fait dans un contexte particulier. » Dans ce cas-ci, par exemple, ce sont les personnes avec la variante génétique 7R qui ont en plus été en contact avec des points de vue et des modes de vie variés par l’entremise de leurs nombreux amis, qui se sont avérées plus progressistes que la moyenne une fois adulte. Et comme Sapolsky, les auteurs de l’étude insistaient pour dire que c’est l’interaction cruciale des deux facteurs qui était déterminante ici, la prédisposition génétique ET la condition environnementale d’avoir beaucoup d’amis à l’adolescence.

YDR : Pis t’es sûr que ça s’passe toujours de même ?

BD : Sapolsky en donne plein d’exemples en tout cas. Les enfants avec la variante 7R vont être moins généreux que la moyenne si l’attachement à leur parent est peu sûr. Si cet attachement est solide, ils font au contraire preuve de plus de générosité que la moyenne. Ou bien des étudiants avec la variante 7R expriment moins d’intérêt pour les organisations faisant la promotion de causes sociales, à moins qu’ils aient été en contact avec des mots religieux, auquel cas ils deviennent très prosociaux. Ou encore, les 7R sont moins bons quand vient le temps de repousser un peu une gratification, mais seulement s’ils ont grandi dans un milieu pauvre. Bref, le fait d’avoir la variante 7R aura un effet sur la générosité, le caractère prosocial ou le contrôle de soi, mais le sens de cet effet va dépendre du contexte6.


  1. Our Political Nature: The Evolutionary Origins of What Divides Us (2013) / The Origin of Politics: An Evolutionary Theory of Political Behavior (2004) ↩︎
  2. Novelty seeking (Wikipédia) ↩︎
  3. The dopamine D4 receptor gene (DRD4) moderates cultural difference in independent versus interdependent social orientation (2014) ↩︎
  4. Behave: The Biology of Humans at Our Best and Worst, p.288-290 (2017) / Historically rice-farming societies have tighter social norms in China and worldwide (2020) / An historical perspective on « The world-wide distribution of allele frequencies at the human dopamine D4 receptor locus » (2014) ↩︎
  5. Friendships Moderate an Association between a Dopamine Gene Variant and Political Ideology (2010) ↩︎
  6. Behave: The Biology of Humans at Our Best and Worst, p.264 (2017) ↩︎